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Murmures

by: Walla Capelobo

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Traduction par Jennifer Guerra Montenegro

« Les plantes maîtresses sont des véhicules fertiles vers d’autres réalités »

Selvagem — grupo de estudos sobre a vida1 

Partie II

Congonha

Les murmures ont commencé quand je l’ai trouvée : une petite et remarquable congonha qui, à ce moment-là, m’a présenté les clefs du charme pour réjouir mon regard et reconnaître les montagnes comme des êtres vivants qui ont leurs propres agencements et leurs propres pulsions. Beatriz Nascimento commente dans un entretien à Januário Garcia à quel point l’histoire du Brésil est schizophrénique, c’est-à-dire comment la réalité historique, et la perception du territoire qui correspond au Brésil, est liée à une réalité idéologiquement orientée vers l’aliénation et l’anéantissement des êtres soumis à cet ordre validant. Les structures de connaissance, reproduites dans les institutions d’enseignement, constituent et soumettent à une réalité aliénante qui admet le monde comme une ressource qui doit être consommée. Nous enlevant ainsi la sensibilité face aux choses du monde dans l’intérêt des réseaux d’oppression qui nous soumettent au quotidien. Les murmures que les congonhas nous révèlent sont arrivés comme une rupture des chaînes schizophréniques de perception et d’expériences vécues du territoire. Au moment de boire la congonha dans du thé, je commence un dialogue me permettant une métamorphose qui unit notre ADN. Je la sens en contact avec les plus petites parties de mon être qui gardent les souvenirs d’un bon vivre incarné depuis les temps d’un autre langage. Selon nos besoins et nos connaissances, un bain d’herbes est un bon exemple de comment le corps perçoit le pouvoir régénérateur qui est présent dans la sève des plantes. Après avoir demandé la permission et l’aide aux herbes, l’on obtient le don de la guérison. Le pouvoir de changer l’état énergétique, physique, psychique et spirituel, au contact avec les herbes, existe car cela permet aux plus vieilles feuilles de laisser agir leur conscience et leur réalité. Cela n’a pas été différent pour moi avec les congonhas. Lorsque j’ai demandé la permission de vivre parmi elles, j’ai fait un pas en arrière, comme le dit la maîtresse de jongueira2 Jessica Castro : j’ai abandonné l’idéologie humaniste qui affirme que nous sommes incapables d’apprendre d’autres êtres qui ne sont pas humains, et en particulier, d’une plante. J’ai reconnu mon ignorance et j’ai demandé, avec modestie, aux congonhas qu’elles me montrent à marcher légèrement et lentement sur la terre, que j’incarnais, comme ce que l’on apprend dans une ginga de capoeira. 


« Sans feuilles, il n’y a pas de rêves ; sans feuilles, il n’y a pas de vie  », chante Maria Bethânia et Sandra de Sá et enchantent les paroles de leur chanson Salve as folhas, qui font allusion aux fondements des religions de matrice africaine qui chantent et enchantent également la vie à partir de la relation symbiotique avec les plantes. Le rêve prépare le rêveur au jour suivant. L’institution du rêve – selon les termes de Ailton Krenak – m’a comblée car elle présente son existence à partir de la relation imbriquée avec les congonhas. J’ai de nouveau rêver. Non seulement dans mon sommeil, en dormant, mais aussi éveillée. J’ai pu imaginer, à partir des résumés des blessures de la mémoire qui apparaissent dans les rêves, afin de créer du sens à la présence et à la communion avec les multiples organismes qui m’entourent. Tel un entraînement pour un futur, qui est déjà présent dans son passé, où les rêves mettent au point et font vibrer la métamorphose cellulaire générée dans un contact permanent. Nous nous unissons avec nos ancêtres dans nos rêves. Une technologie d’apprentissage élaborée pour la continuité de nos existences. J’adore rêver et me souvenir d’eux dans leur fragment de mémoire en spirale – selon les mots de la Reine Leda Maria Martins –. Des rêves murmurés depuis le moment où j’ai choisi les congonhas comme espèce de compagnie3 dans cette insistante chorégraphie de fuite des extinctions, et d’exploitation minière, de nos sombres existences.

Congonha, plante maîtresse, 2021

BRÛLER

La poterie et l’art de faire la pierre

J’ai adoré l’artisanat de l’argile lorsque je l’ai touché. J’ai senti la matérialité qui me manquait. Le courant transformateur de penser avec le toucher. J’ai regretté, pendant des années d’études formelles en art, la connaissance à partir du faire ; la connaissance au-delà des citations habituelles qui s’accumulent comme une sorte de démonstration et de compétition pour la connaissance. Être dans un atelier, le bruit silencieux des mains impliquées par un corps qui bouge autour de l’être poterie qui se forme et se montre à cet endroit-là. Apprendre en faisant, faire en apprenant. Pendant un après-midi de faire-poterie, enveloppée dans l’argile, une perception envahit ma pensée : faire de la poterie, c’est faire des pierres. Cela semble sans doute évident en le lisant, mais pour moi, tous les sens se sont ouverts à un nouveau mode de vie. Je crois que c’est la meilleure réponse que je peux produire aujourd’hui face à l’exploitation minière qui dévore la terre. Je fais des pierres, je rends et je continue le travail millénaire des volcans qui soufflent le faire terrestre. Je fais des pierres et je les aime. Je sens la continuité, la contribution du mouvement du temps étendu plus loin que l’humain pour faire de la terre. Faire de la terre, action qui a dû être tant apprise par nos ancêtres de la diaspora africaine quand ils avaient comme compagnie le banzo, le désir de la terre, du là-bas. Faire de la terre c’est créer de l’espace dans les terres envahies et retenues par les envahisseurs avec leurs armes physiques et subjectives. J’ai appris à faire terre, à être terre, à construire des pierres, des êtres terrestres engagés avec l’obscurité. J’ai fait terre, je fais terre !

Brûlage de céramiques, 2021

Créer des fossiles ou si les pierres gardent tes secrets

La poterie et l’artisanat de l’argile impliquent des significations qui vont bien au-delà de l’objet produit. Cela suppose des habiletés et des gestes particuliers qui donnent forme à une casserole ou à une poêle. Bien plus que des produits en soi, ces objets possèdent une immatérialité, une subjectivité porteuse de valeurs symboliques. Chaque pièce de poterie produite garde une partie du territoire. Non seulement comme demeure du corps, mais également ce qui est re-présenté comme demeure sacrée de l’âme.

Celia Xacriabá

Comment garder un secret qui doit être transmis aux autres sans révéler la lumière qui emprisonne nos sens ? Les congonhas continuent leur mission quotidienne : celle d’échapper aux extinctions causées par la machinerie minière et coloniale qui dévore la terre sans arrêt. Les connaissances sur nos relations avec les congonhas et avec d’autres êtres cosmiques fuient également le fétiche et la destruction des sens qui s’est produit au contact de la blanchité colonisatrice. Lorsque je me suis rendu compte que j’étais en train de faire des pierres, je me suis imaginée en train de faire des fossiles. Fossiles, des êtres incarnés en pierres qui personnifient en permanence un passé et qui menacent de nous rappeler que la finitude est une question de temps. Des fossiles qui révèlent les transformations du paysage qui nous composent, alertant que ce que nous sommes est ce que nous avons été. J’en ai créé des centaines : de nombreuses congonhas, passées à des argiles brûlées en pierres. Pendant ce temps, j’ai consacré ces fossiles au temps de la Terre, où ces secrets puisés se retranchent dans la terre de manière à ce qu’ils se multiplient et demeurent dans la bibliothèque vivante de la savane montagneuse. Nous ne serons jamais oublié.e.s, nous sommes la terre, finalement éternelle.

Walla Capelobo

artiste, chercheur

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