Ruido. Edilberto Lauriano carga su antigua escopeta con la que solía cazar en la selva amazónica para protegerse de algún ataque repentino de algún animal.

Tigres et tigresses de l’eau. Gardiens et gardiennes de la forêt amazonienne

by: Ruido Sara Zuluaga García

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Texte : Sara Zuluaga

Photographies de Santiago Díaz

Traduction par Jennifer Guerra Montenegro

Entre les années 1950 et 1990, l’Amazonie colombienne a nourri la prospérité du marché de fourrures exotiques. Les chasseurs et les chasseuses de la région tuaient chaque jour entre trente et quarante animaux comme le jaguar, le caïman noir, le tapir ou le pirarucu. Depuis leur plus jeune âge, Edilberto et Milton ont appris le métier de la chasse : marcher discrètement, monter des pièges, tirer avec leur fusil. Mais cette prospérité s’est terminée à cause du déséquilibre de la faune et de la flore du territoire. Entre autres choses, cela les a tous deux amenés à commencer une transition de chasseurs voraces vers des chasseurs durables et gardiens de la forêt : chasser seulement le strict nécessaire, travailler avec la communauté pour la récupération et la préservation des espèces sauvages et de la culture des terres. Airumaküchi,1 l’association de chasseurs et de chasseuses qu’ils dirigent, travaille en faveur de la souveraineté alimentaire indigène, le renforcement de leurs traditions, la protection de la forêt et des espèces qui l’habitent.

Ce n’est pas l’histoire d’une richesse. C’est plutôt l’histoire d’une bataille de chasseurs et de chasseuses qui l’étaient déjà. Une bataille avec eux-mêmes, avec elles-mêmes et avec les autres. Il s’agit plutôt d’une histoire sur la tension qui existe entre ce que cela signifie de protéger le territoire et de déranger le métier qui s’apprend depuis toujours.

Edilberto soutient son regard tandis qu’il observe les cultures de Pancoger qui commencent à remplacer les zones défrichées du territoire Tikuna.

Selon National Geographic, le trafic d’espèces sauvages recollecte entre 8 et 20 milliards d’euros par an dans le monde entier et il se trouve, avec le trafic de stupéfiants et la traite des êtres humains, parmi les activités illégales les plus lucratives. La Colombie, qui est tout juste dépassée par le Brésil en matière de biodiversité, est un pays particulièrement attractif pour cette activité. 

Selon la fondation Aquae, la forêt amazonienne possède 427 espèces de mammifères, 1 300 espèces d’oiseaux et plus de 400 amphibiens. L’Amazonie représente 40% du territoire national ; la végétation du nommé « poumon du monde » rend possible de nombreuses formes de vie sur le territoire.

Mais ce dernier, comme presque tous les territoires, représente plus que des espèces sauvages et de la végétation : il est également habité par plus de treize ethnies autochtones – selon la fondation Gaia Amazonas2. Et cette tension entre nature et survie humaine est ce qui a fait que la chasse ait été – et soit – une option pour ceux et celles qui habitent cette forêt.

Edilberto s’arrête pour regarder la cime des arbres après avoir entendu le bruit d’un oiseau qu’il identifie immédiatement.

Ici, la chasse fait partie de leur quotidienneté, ils l’ont appris depuis leur enfance : Tuer. Tuer un animal. Je devine, avec maladresse, ce que l’on peut ressentir. Comme Mike Wilson a dit ce qu’était d’abattre un arbre énorme lorsqu’il est parti vivre avec une communauté de bûcherons et de bûcheronnes : quelque chose qui doit être fait et qui est fait.

Hier, j’ai abattu mon premier arbre. C’était un pin. J’ai pris du temps. Mes mains ont saigné, mon dos ne cesse de se crisper. Ce qui est étrange c’est que je n’ai rien ressenti quand il s’est effondré. Juste avant de tomber, le tronc a craqué. À l’intérieur du tronc, le bois a commencé à se fissurer. Il a retenti comme la décharge simultanée d’une centaine de fusils. Puis, la chute et l’impact.

Le choc du pin contre le sol de la forêt a été grave, à tel point que je l’ai plus senti qu’écouté. Comme si en tombant, il avait aspiré l’air et en se heurtant, il avait été remis dans une rafale violente et avec un coup de marteau dans la poitrine. Je ne m’y attendais pas, j’ai failli tomber à la renverse.

Puis, le silence. Le silence absolu. J’étais seul au monde face à un pin abattu. Je suis resté là un moment, sur un côté de la souche, attendant que quelque chose se produise. Il ne s’est rien passé. Je n’ai rien senti.J’ai pris la hache et je suis retourné au campement.3

Sur le chemin du sanctuaire, il y a une empreinte de pas qui correspond peut-être à un tapir.

Edilberto Laurino est un indigène Ticuna de 50 ans. Il a été reconnu au sein de la communauté comme l’un des meilleurs chasseurs et chasseuses. Edilberto a appris à chasser à l’âge de sept ans. Son père lui a appris comment faire, ensuite il lui a appris à tirer avec son premier fusil, à monter les pièges. Tout cela à l’intérieur de la forêt. Le premier animal qu’il a chassé a été un pigeon ramier. « J’ai tout chassé. Je chassais simplement pour chasser. J’ai chassé des caïmans, des jaguars, des tapirs. Quel animal n’ai-je pas tué ? ».

Ils et elles veulent que le lien entre l’environnement et leur santé alimentaire soit nourri par leurs traditions ancestrales

Lorsque son père chassait, il s’est consacré à la vente de peaux pendant sept ans et quand il sortait en forêt, Edilberto se souvient d’un radeau plein de grands sacs en toile remplis de peaux de jaguar, de caïmans noir, de pirarucu et d’autres espèces. « Pouvez-vous imaginer combien d’animaux sont morts à cette époque ? »

Milton Pinto est aussi Ticuna. Il a 27 ans, et depuis cinq ans, il a commencé le processus d’apprentissage pour mener une chasse responsable et pour protéger la faune de son territoire. Pendant son adolescence, il a appris à chasser dans la forêt, mais en ces temps-là, la chasse ne représentait plus une chose si lucrative comme avant : « Par exemple, avant on chassait un paca de 12 kg, aujourd’hui le kilo coûte douze milles pesos colombiens. Parfois c’était une bonne affaire, mais d’autres fois non. Alors c’était une perte de temps. Donc en travaillant dans son potager ancestral (chagra), on travaillait et en 15 jours, on nous payait au moins 150 milles pesos colombiens. »

Ils font tous les deux partie de la fondation Airumaküchi : Edilberto est le fondateur et le président, et Milton est le secrétaire. Airumaküchi signifie « tigre d’eau ». La fondation est composée de chasseurs et de chasseuses indigènes ticuna, cocama et yagua qui travaillent de manière collective pour la chasse durable, pour la souveraineté alimentaire et pour la protection de la forêt. 

La fondation a été créée légalement en novembre 2015 et depuis ce moment-là, le processus pour réaliser une chasse durable se divise en plusieurs étapes : faire un inventaire des outils utilisés pour aller à la chasse, connaître et vulgariser les cycles de reproduction des différentes espèces et organiser de manière collective une carte de ce qui se passe. Pour cela, ils ont une planche avec certaines espèces et ils y mettent des pierres de différentes couleurs pour surveiller ce qui est chassé : mauve pour les femelles, bleu pour les mâles et vert pour les progénitures qui, si parfois elles sont chassées, c’est par erreur, car l’une des règles est de ne pas le faire. La fondation a également une limite de chasse pour les animaux qui vivent en meute, et travaille à la plantation de plantes et de fruits nutritifs pour les espèces afin de maintenir leur cycle et afin de contribuer également au contrôle de la déforestation.

Les leaderships qui ont conduit à la récupération de la vision du monde ticuna et le travail collectif des membres de l’association ont amené la communauté à redéfinir ses anciennes pratiques de chasse pour faire place à la consommation consciente des animaux qui cohabitent dans son territoire. Grâce à quelques caméras-pièges qui ont été placées à des endroits stratégiques, ils peuvent surveiller la fréquence des visites de certaines espèces. Ensuite, avec ces images, ils mettent en place des outils pédagogiques pour sensibiliser les jeunes garçons et les jeunes filles, ainsi que les personnes âgées.

Milton tient une griffe qu’il a gardée pendant plusieurs années.
Le sanctuaire est un lieu sacré pour la communauté Tikuna car tous les animaux viennent s’y nourrir des minéraux spéciaux contenus dans l’eau.
Milton se repose sur un tronc tombé près du sanctuaire, regardant l’immensité de la forêt et la lumière filtrant à travers les arbres.
Milton partage des images des pièges à caméra d’Airumaküchi, avec lesquels ils ont réussi à capturer la présence de nombreuses espèces dans les sanctuaires.

Edilberto charge son ancien fusil pendant qu’il marche dans la forêt pour se protéger d’une attaque soudaine de n’importe quel animal. Même si, il y a longtemps, c’était l’arme pour aller à la chasse, il a transformé toutes ses anciennes pratiques. Il est chasseur depuis l’âge de sept ans et cela se voit à sa façon de marcher, à sa façon de regarder, à sa façon d’écouter. Les chasseurs et les chasseuses qui entourent, qui vivent ensemble, et qui promeuvent le cycle de vie et d’alimentation avec les animaux qui se déplacent par ici, ne cesseront jamais d’être des chasseurs et des chasseuses, mais ils et elles souhaitent que ce lien entre l’environnement et leur santé alimentaire soit également nourri par leurs traditions ancestrales. De plus en plus, à partir du travail collectif et de la résurgence de traditions sacrées, émerge un nouveau métier qui ressemble, peut-être, davantage à la protection de la forêt.

Portrait d’Edilberto Lauriano et de ses enfants alors qu’ils partagent avec leur famille la routine quotidienne d’avoir terminé une autre journée.
L’effet de la chasse aux animaux, de l’exploitation forestière et de la perte constante du sentiment d’appartenance à la tradition Tikuna met en danger les jeunes générations de la communauté.

Ruido

Photographe, journaliste,

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Sara Zuluaga García

Écrivain, journaliste, éditeur

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